- Nemonte Nenquimo est une femme équatorienne d’origine waorani.
- Activiste très engagée depuis son plus jeune âge dans la protection de la forêt d’Amazonie, ses communautés, sa faune et sa biodiversité, elle a connu de nombreux succès, dont le plus récent, en 2019, a été l’interdiction de l’exploitation pétrolière du “Bloc 22” dans le Parc National Yasuni. La décision de justice a permis de placer sous protection 200 mille hectares occupés par le bloc, mais également de plus de 4 millions d’hectares de forêt qui allaient être vendus aux enchères.
- Elle a reçu récemment le prix Goldman 2020, plus haute récompense internationale destinée aux personnalités engagées pour l’environnement. Elle avait été élue en septembre 2020 par le Times parmi les personnalités les plus influentes au monde.
La forêt d’Amazonie et ses communautés en danger
La région d’Amazonie équatorienne reste sujette à l’exploitation pétrolière croissante. Si le gouvernement de Rafael Correa a permis de donner de l’importance aux communautés indiennes de toute la région, et à la préservation de leur habitat et coutumes, les populations natives, dont les waoranis, sont parmi les premières victimes de pratiques peu scrupuleuses qui causent des dégâts massifs dans la forêt primaire. De nombreux blocs s’ouvrent peu à peu à l’exploitation, du fait en particulier de la situation économique actuelle du pays, et vont à l’encontre des initiatives précédentes, menaçant fortement des communautés déjà très vulnérables.
Ces populations sont souvent contraintes à se rapprocher des villes en sacrifiant leurs coutume et lieu de vie ancestral, et ne reçoivent que rarement les aides et outils nécessaires pour s’intégrer à un monde moderne auquel elles n’ont pas nécessairement envie de se rattacher. L’on retrouve avec grande tristesse certains membres des communautés waoranis dans des villes d’Amazonie secondaire comme Misahualli ou Tena, souvent forcés à la mendicité pour subvenir aux besoins de leur famille. Cette communauté, composée d’environ 5000 membres à l’heure actuelle, fait partie des derniers peuples ancestraux contactés aux alentours de 1958 par des missionnaires d’Amérique du Nord. Leur territoire ne représente aujourd’hui plus que 10% de ce qu’il était à l’origine.
Face à cette dure réalité, de grandes personnalités s’élèvent cependant, comme Nemonte Nenquimo (qui signifie “étoile” dans sa langue maternelle, le wao tereo), une femme waorani activiste très engagée de 35 ans, qui a passé une grande partie de sa vie à lutter pour la préservation de toutes les communautés natives d’Amazonie. Elle est devenue en l’espace de quelques années un véritable symbole international de resistance contre le lobby pétrolier dans le monde.
Elle fait partie des 6 personnes ayant reçu le prix Goldman Environmental Price 2020 (plus grande reconnaissance d’engagement pour l’environnement à l’échelle internationale). Le premier fut cette année également remis à Leydy Pech (Mexique), Kristal Ambrose (Bahamas), Paul Sein Twa (Myanmar), Lucie Pinson (France) y Chibeze Ezekiel (Ghana).
Elle fut également élue par le prestigieux Times, en septembre dernier, ainsi que par la BBC, comme l’une des 100 personnalités les plus influentes au monde.
We are honored to announce the recipients of the 2020 #GoldmanPrize: Leydy Pech, Kristal Ambrose, Chibeze Ezekiel, Nemonte Nenquimo, Lucie Pinson, and Paul Sein Twa. https://t.co/QlGofKBLdH pic.twitter.com/ACsHVrnAfC
— Goldman Prize (@goldmanprize) November 30, 2020
En réponse à la récompense Goldman, elle indiqua via communiqué:
Je reçois ce prix au nom de la lutte collective de mon peuple pour protéger ce que nous aimons: notre manière de vivre, nos rivières, les animaux, nos forêts, la vie sur la Terre. Ensemble, nous luttons pour le respect de nos droits à l’auto-gouvernance et l’auto-détermination sur notre Territoire et notre vie, et nous avons pu empêcher la vente de centaines de milliers d’acres de notre territoire à l’industrie pétrolière internationale, créant un précédent pour que d’autres peuples indigènes en protègent des millions de plus.
Ce prix fait notamment honneur à sa grande victoire contre l’exploitation du Bloc 22 en Amazonie, et la décision légale obtenue pour la protection de l’ensemble des 200 mille hectares occupés par le bloc, mais également de plus de 4 millions d’hectares de forêt qui allaient être vendus aux enchères dans via un projet connexe. Il est accompagné d’une assistance économique que Nenquimo pense dédier à son peuple.
Nous affrontons de nombreuses menaces et avons des bonnes idées pour protéger notre autonomie, c’est pourquoi ces fonds vont être très utiles pour notre lutte.
Si elle est aujourd’hui fréquemment exposée aux medias, messages de soutien et moyens de communication modernes, Nenquimo reste profondément attachée à la nature et y trouve souvent refuge lorsque les caméras l’épuisent.
Enfance et adolescence
Nenquimo a passé son enfance dans la petite communauté waorani de Nemonpare, à 2 jours de marche de la ville de Puyo (capitale de la province équatorienne de Pastaza), où vivent environ 10 grandes familles. Dès sa naissance, elle fut victime de la discrimination très forte de l’époque envers les peuples natifs. En effet, un prénom “métisse” lui fut imposé, et c’est pourquoi sa carte d’identité porte également celui de Inés, du choix de son frère Oswaldo, ou “Opi”. Cependant, pour sa famille, elle resta toujours la petite Nemonte, ou “Nemo”, pour la tante de son père, qui lui choisit ce magnifique prénom, voyant dans le reflet de son essence intérieure une étoile qui allait porter en elle sagesse et culture.
Elle est la benjamine et unique femme d’une fratrie de dix enfants, et se rappelle avec nostalgie son enfance et adolescence passées à Nemonpare, se sentant déjà responsable du bien-être de ses aînés, et protectrice de la nature et des animaux qui l’entourent. Elle adorait à cette époque s’assoir de longues heures avec les anciens (“pikenani” en langue wao) pour chanter autour des “onkos”, maisons traditionnelles triangulaires d’Amazonie faites de feuilles de palmes tressées. Très curieuse et active de nature, elle s’échappa de sa communauté à 15 ans pour rejoindre la capitale Quito, et étudier dans une école missionnaire, afin de répondre à son fort désir d’en apprendre davantage sur la culture occidentale, mais aussi d’apprendre l’espagnol. Elle devint très rapidement nostalgique de sa région natale, trouvant l’ambiance de la ville très triste, et prit la décision de retourner vivre dans sa communauté 3 ans après son arrivée.
Bien qu’elle ait pu voyager suite à ses nombreux engagements environnementaux, elle dit toujours au sujet des grandes villes, comme sur New York:
J’entendais souvent que New York était très jolie et que de nombreux équatoriens partaient y vivre pour profiter d’une vie meilleure. Mais je n’y ai rien vu de mieux, les gens là-bas ne vivent pas bien, ils ne vivent pas tranquilles.
Nenquimo affirme se sentir plus waorani que jamais, et face à certains membres de sa communauté qui remettent parfois en cause son appartenance à cette dernière du fait de l’origine Sápara de sa mère (l’une des 11 autres nationalités indigènes d’Amazonie équatorienne), elle répond avec fierté et détermination:
Je considère être une femme wao comme mon père. Je ne sais rien de la culture de ma mère. Au plus profond de moi-même, je suis une femme waorani.
Activisme et engagement environnemental
En 2010, Nenquimo rejoint un projet de l’Association des Femmes Waorani de l’Amazonie Équatorienne (AMWAE) qui avait pour objectif d’arrêter le commerce de la viande des animaux de la forêt. A cette époque, les indiens waorani chassaient les guantas (Cuniculus paca), huanganas (Tayassu pecari), et singes chorongos (Lagothrix poeppigii) à l’intérieur du Parc National Yasuni, afin de les vendre au village de Pompeya, près du fleuve Napo, au Nord de l’Amazonie. La chasse massive mit de nombreuses espèces en danger d’extinction, en plus d’exposer les populations à de grand risques sanitaires, comme nous l’a démontré actuellement le COVID-19 et sa possible origine animale.
L’ex-directrice de la fondation EcoCiencia, Ana Puyol, se rappelle avec joie la présence radieuse de Nemonte Nenquimo avec son sourire omniprésent. Elle jouait déjà un rôle incroyable durant des dialogues souvent houleux avec les communautés autour du sujet de la viande animale et trouvait toujours le moyen de transmettre joie et espoir, en arrivant à concilier les contraintes et peur de chaque acteur de cette situation délicate. Interrogée sur ce qui l’a marquée à son sujet, elle se rappelle sans hésitation: “Son rire est incroyable, à chaque fois que je pense à elle, je l’imagine avec son grand sourire. Même durant les jours les plus difficiles, elle nous faisait toujours rire. Nenquimo est une lumière”.
La AMWAE, sous la direction de la leader waorani Manuela Ima, obtint non seulement l’arrêt du commerce de la viande animale forestière, mais réussit également à créer un programme stimulant la création et la vente de produits artisanaux et de chocolat, qui permit à beaucoup de membres de la communauté de devenir plus indépendants. Nenquimo garde d’excellents souvenirs de cette époque et apprit beaucoup du temps passé auprès de l’Association.
Vie privée et familiale
En 2013, elle commence à travailler sur la construction d’un système de purification de l’eau de pluie pour sa communauté, et connait alors Mitch Anderson, citoyen américain, qui travaillait depuis 2 ans en Amazonie d´Équateur. Partageant tous deux une lutte commune pour la dignité des peuples indiens et sur des projets au service des familles et des enfants, ils tombèrent amoureux durant ce temps passé ensemble et se marièrent.
C’est cet argument qu’utilisent certains détracteurs de Nenquimo à son encontre, indiquant, comme Manuela Ima, qu’elle ne pourra jamais être une véritable leader du fait de son mariage avec un “gringo”, et non avec un membre de la communauté wao. Cette relation provoque certains désaccords parmi les waoranis, que Nenquimo rejette en bloc:
Mon mari respecte ma culture et mes décisions. C’est une personne qui possède beaucoup de respect, de courage, et qui travaille toujours avec moi pour protéger le territoire waorani.
Son frère Oswaldo rigole souvent à ce sujet et se rappelle leur première rencontres, durant laquelle tous pensèrent: “Gringo, tu penses pouvoir apprendre à vivre dans la jungle?” Afin d’obtenir la réponse à cette question, ils l’emmenèrent chasser dans la jungle avec une machette et un fusil. Ils rentrèrent 15 heures plus tard avec de nombreux animaux, et Anderson leur démontra pourquoi “Nemo” était tombée amoureuse de lui.
En 2015, le couple fut béni par la naissance de leur fille Daime (arc-en-ciel en langue wao tereo) Omere Anderson Nenquimo. Cette naissance donna à Nenquimo encore davantage de raisons de s’engager pour l’Amazonie, dans le but de laisser aux futures générations une ambiance saine, de l’eau et de l’air purs et propres, et une jungle telle qu’elle la connut étant enfant “sans pétroliers ni pollution”.
L’Alliance “Ceibos” et la lutte contre le bloc 22
Son travail en 2013 sur la construction d’un système de purification de l’eau de pluie l’amena à se rapprocher naturellement d’autres leaders de communautés aux luttes et aux visions partagées. C’est en 2016 que fut créée l’Alliance Ceibos, qui réunit des figures des peuples waorani, siona, a’i kofan et siekopai, oeuvrant pour le bien-être, la préservation de la culture des 4 peuples, et de la forêt d’Amazonie. Nemonte Nenquimo se plaça à la tête de cette Alliance qui représente un grand pas dans la fédération des luttes des peuples d’Amazonie.
En juin 2020, l’Alliance Ceibos fut d’ailleurs récompensée par le “Premio Ecuatorial“, une distinction remise par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), en reconnaissance des initiatives innovantes ayant pour objectif la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.
A la fin de sa période en tant que directrice de l’Alliance, Nenquimo se rendit à Puyo, jusqu’à sa communauté de Nemonpare, afin de rendre visite à sa mère. C’est à ce moment qu’une assemblée où tous les autres candidats étaient d’ailleurs des hommes que la jeune Nenquimo devint la première présidente du Conseil de Coordination de la Nationalité Waorani de Pastaza (Conconawep), et poursuivit ainsi son plus grand combat, débuté en 2012, contre le bloc pétrolier 22.
Cette zone d’exploitation de plus de 200 mille hectares, soit près de la moitié de la surface de toute l’agglomération de Quito, fut impulsée avec 13 autres projets par le gouvernement équatorien dans le cadre de l’initiative “Ronda Suroriente“, avec pour objectif la vente aux enchères de ces terrains à des entreprises nationales et étrangères. En 2012, une délégation technique appelée “Secretariat d’hydrocarbures de l’Équateur” se rendit en Amazonie pour visiter les communautés natives et obtenir leur accord pour l’exploitation pétrolière de la région. C’est là que le bat blesse.
En réalité, le projet fut présenté aux communautés d’une toute autre manière. En effet, selon Gilberto Nenquimo, leader de la Nationalité Waorani d’Équateur (NAWE), ce sont des cortèges d’hélicoptères, remplis de boissons, aliments et cadeaux, qui rendirent visites à chaque communauté, en leur demandant de signer un document indiquant que le Gouvernement équatorien s’engageait pour la protection de l’Amazonie. Les waoranis signèrent donc, sans se douter que leurs signatures allaient être utilisées pour indiquer leur accord et ouverture quant à l’exploitation pétrolière de la région. C’est contre ce mensonge et cette tromperie que Nenquimo lutta toutes ces années.
Sept ans plus tard, cette dernière dirigea l’action légale contre le gouvernement équatorien, en indiquant que ce dernier viola les droits du peuple waorani de Pastaza à une consultation avant toute prise de décision libre et informée, sur l’exploitation du bloc 22. La Constitution équatorienne prévoit en effet qu’avant même une recherche en terre indigène de ressources non renouvelables comme le pétrole, une consultation doit être menée auprès des peuples natifs afin d’obtenir leur accord, obligatoire pour toute exploitation.
Nenquimo joua un rôle fédérateur parmi les communautés durant les 2 années que prit la préparation du dossier légal. Sa personnalité et sa joie traduisaient un engagement fort et sans faille sur le dossier. María Espinosa, l’une des avocates en charge de l’élaboration du dossier, raconte comment elle commença à chanter durant un appel téléphonique avec plusieurs femmes de la communauté wao, et transmit, durant un moment intense en émotion, un magnifique message de courage qui donna beaucoup d’espoir à toutes les personnes engagées dans cette lutte.
Toujours accompagnée par sa fille Daime durant toutes les manifestations, assemblées et audiences, Nenquimo confie que cette dernière lui a insufflé beaucoup de courage et n’a jamais été un problème durant sa lutte. La petite Daime tient sa mère comme exemple, et bien que cette dernière lui manque chaque fois qu’elle doit voyager, elle a indiqué à des représentants de la communauté vouloir être comme elle et suivre ses pas.
La cour provinciale de Pastaza détermina, en juillet 2019, que la consultation réalisée auprès des communautés ne respecta pas les standards nationaux et internationaux. Cette décision plaça sous protection les 200 mille hectares du bloc 22 ainsi que 4 millions d’hectares de forêt primaire. Cette victoire marqua sans aucun doute un précédent et une inspiration pour tous les peuples et nationalités indiennes du pays, afin de pouvoir exiger que soient respectés leurs territoires, et leur vie.
Les personnes présentes durant l’énoncé du verdict disent qu’à l’écoute de ce dernier, Nenquimo souria, tout simplement.
Sources (espagnol): https://es.mongabay.com/2020/11/nemonte-nenquimo-gana-premio-goldman-indigenas-waorani-ecuador/
(espagnol) https://www.elcomercio.com/tendencias/dirigente-waorani-ecuador-premio-ambiente.html
(espagnol) http://www.ipsnoticias.net/2020/12/nemonte-nenquimo-la-estrella-waorani-ganadora-del-premio-goldman/